Sommes-nous en train de donner vie aux pages les plus sombres de l’œuvre dystopique d’Orwell ?

Depuis le début du mandat Macron, les lois répressives se succèdent. À l’approche des JO, les propositions et projets de loi sécuritaires s’accumulent à l’Assemblée, jetant une ombre toujours plus inquiétante sur nos libertés publiques. Dernière en date, la proposition actuellement examinée à l’Assemblée, sous le titre trompeur de “renforcement de la sûreté dans les transports”, nécessite une attention particulière. 

Sommes-nous en train de donner vie aux pages les plus sombres de l’œuvre dystopique d’Orwell ?  

Cette interrogation surgit naturellement à la lumière du récent examen en commission des lois de cette législation portant sur la “sûreté dans les transports”.

Après une série de lois comme Savary, Sécurité globale et relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques, voici une nouvelle tentative de légiférer sur la “sécurité” dans les transports.

En tant que membre de la commission des lois depuis mon élection en juin 2022, je constate avec inquiétude l’accumulation de dispositifs législatifs de plus en plus attentatoires à nos libertés individuelles, sous prétexte de sécurité. Il semble de plus en plus que la liberté de mener une vie ordinaire et privée, loin des intrusions et des réglementations de l’État, soit menacée.

Cette proposition de loi « sureté dans les transports » qui nous vient du Sénat, aujourd’hui défendue par l’ancien ministre des Transports Clément Beaune, est un texte qui compte 22 articles, tous plus problématiques les uns que les autres. De la lutte contre la mendicité aux amendes pour bagages oubliés, de l’utilisation de caméras piétons à l’implication de la police municipale dans les transports, cette proposition semble naviguer dans un océan de mesures arbitraires, menaçant ainsi notre vie quotidienne.

Cette dérive sécuritaire contraste fortement avec les promesses initiales de 2015 lors de la candidature de la France aux Jeux Olympiques, évoquant notamment la gratuité des transports et l’expansion des réseaux de RER et de métro. À quelques mois la ligne d’arrivée, ces rêves se sont mués en cauchemar pour les Franciliens. La gratuité a été balayée par l’inflation et, entre l’ouverture à la concurrence et le sous-effectif, un quart des bus et jusqu’à deux métros sur dix font défaut. Les réseaux sociaux regorgent d’images de quais bondés et les témoignages des usagers racontent les difficultés quotidiennes, laissant planer une question inquiétante : qu’est-ce que ça va être pendant les JO ?

Alors que nous devrions réimaginer le transport public et engager un véritable débat sur sa gratuité, alors que le réseau de transports en commun se détériore à vue d’œil, que le manque de personnel est criant, à deux mois des JO et des 15 millions de visiteurs supplémentaires attendus, que nous proposent-ils ? Surveillance de masse et coercition pénale.

En effet l’exposé des motifs de cette proposition de loi laisse peu de doute sur la volonté de la droite et de la macronie : suspicion et surveillance à chaque moment et chaque étape de la vie de l’espace public.  Il faut « Montrer du bleu partout » !

Avec quels arguments pour justifier cela ? Rien si ce n’est quelques chiffres qui ne veulent rien dire et de vagues formules incantatoires. Comme nous le constatons depuis quelques années, la macronie à recours à une formule simple pour justifier ce texte : « pour raisons de sécurité ». Une formule qui se veut être un argument d’autorité permettant de couper court à toute discussion, avec l’objectif d’imposer des perspectives et des mesures que l’on n’accepterait pas sans cela. 

Au cours de son intervention, le rapporteur Clément Beaune s’est aventuré à parler de nécessité d’encourager le report modal. Si nous partageons cet objectif, je me demande bien en quoi cette proposition de loi y répond. Pour encourager les usagers à prendre les transports en commun, il faut commencer par avoir un service de qualité, avec une présence humaine et une tarification attractive. En clair, il faut en urgence mettre fin à l’ouverture à la concurrence pour restaurer le service public. Placer davantage de policiers aux abords des gares, installer des caméras dans chaque wagon ne contribuera pas à rendre le transport public plus attrayant.

La Quadrature du Net a déjà sonné l’alarme sur les dangers de cette loi, la qualifiant de “petite sœur de la loi sécurité globale”. L’ancien ministre Clément Beaune à me refuser de les recevoir, évoquant en commission un manque de temps et un panel d’auditions très large. Large … et orienté. Ni les syndicats de la RATP et de la SNCF ou la Défenseure des droits n’ont été entendus, quand le tapis rouge a été déroulé à l’UTP et au Préfet de Police de Paris.

L’intitulé de la loi lui-même est fallacieux. Le rapporteur n’a eu de cesse de parler de « sureté » mais semble en méconnaître le sens. La sûreté c’est la garantie de chaque individu contre l’abus de pouvoir. Un texte qui valide les abus de pouvoir, par exemple sur les palpations où les risques de discriminations sont évidents. 

Cette loi est éclairante sur la mécanique législative liberticide à l’œuvre depuis plusieurs mois : instrumentaliser les peurs et la lutte contre le terrorisme pour déployer un arsenal juridique propice aux dérives sécuritaires. 

Alors que les expérimentations de vidéosurveillance algorithmique prévues par la loi relative aux Jeux Olympiques ont à peine débuté et qu’aucune évaluation n’a encore été réalisée, cette nouvelle loi autorise l’accès des agents SNCF et RATP à ces logiciels sans aucune étude d’impact ni avis de la CNIL. Sans aucune retenue, la macronie affiche son projet politique : la généralisation de la surveillance algorithmique des espaces publics, réduisant ainsi l’anonymat et les libertés que nous y exerçons, sans égard aux risques de pratiques policières discriminatoires. 

Le populisme pénal est leur seule action.

Au cœur de ce texte on retrouve cette surenchère pénale à laquelle nous sommes désormais habitués. Tout ce que sait faire cette majorité présidentielle, c’est légiférer, toujours à moindre coût, et si possible sur tous les comportements individuels, sur tous les faits et gestes de nos concitoyens. 

Tout devient un enjeu pénal : l’oubli de bagage, l’occupation d’une place réservée par un autre voyageur, ou même empêcher la fermeture des portes avant le départ. Je considère pour ma part que certains comportements n’ont pas à être questionnés, ni régulés, et encore moins pénalisés. Cette proposition de loi va jusqu’à criminaliser la mendicité dans les transports en commun et les gares, réintégrant ainsi un délit de pauvreté, alors que la mendicité n’est plus pénalement sanctionnée en France depuis 1994.

Avec cette loi, les agents de la SNCF et de la RATP se verraient accorder le droit de réaliser des palpations dans des circonstances ambiguës, sans aucune autorisation préalable ni contrôle ultérieur. Cette mesure est particulièrement alarmante quand on connaît la réalité du délit de faciès, où les individus perçus comme noirs ou arabes sont respectivement quatre et trois fois plus susceptibles d’être soumis à des palpations de sécurité. 

Les compétences et le périmètre d’intervention des agents SNCF et RATP se trouvent largement élargies au nom du continuum de sécurité sans garantie de formation supplémentaire et malgré l’évolution de leurs environnements d’intervention. Nous refusons pour notre part de confier la sécurité collective à des agents de sécurité privée et nous nous opposons à la délégation progressive et constante des pouvoirs de police à des agents d’entreprises publiques. 

Ce texte propose également de robotiser les agents de sécurité en généralisant l’usage de caméras piétons : alors qu’elles sont intrusives et inefficaces, on veut les pérenniser pour les agents de contrôle et les expérimenter pour le conducteur d’autobus à qui on confie la responsabilité supplémentaire de surveiller des usagers. 

Cette loi, faite par et pour les partisans de la « technopolice » emporte des atteintes flagrantes aux droits fondamentaux et s’inscrit dans la continuité de la fuite en avant autoritaire et pénale. 

Nous sommes face à une loi dangereuse qui veut généraliser la surveillance de masse pour mettre au pas une population.  Il est urgent de se dresser contre son contenu et son idéologie.

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