Gaza, une prison à ciel fermé


Rencontre avec Abu Amir Eleiwa

Jeudi 5 octobre 2023, j’ai eu le plaisir de rencontrer au Caire Abu Amir Eleiwa, coordinateur et animateur de plusieurs projets agricoles gazaoui.

N’ayant pu me rendre à Gaza, il a effectué le déplacement pour rencontrer notre délégation et nous partager son expérience de vie. Plus précisément, il a passé une nuit à traverser le désert du Sinaï et la vingtaine de checkpoints qui rythment la route depuis le passage de Rafah jusqu’au Caire. Plus qu’un partage d’expérience, et je l’ai ressenti tout au long de notre échange, il s’agissait pour Abu Amir Eleiwa d’une urgence à témoigner sur la situation de Gaza. Une situation de survie.

« Business de la frontière »


Nous apprenons que pour un Gazaoui, se rendre en Égypte est un périple sans nom. Le pont qui permet de traverser le canal de Suez est réservé depuis plus d’une décennie aux seules autorités militaires. S’il existe une voie souterraine, celle-ci est dite réservée aux « VIP » en ce qu’elle suppose le paiement d’une somme allant de 200 à 1500 dollars selon la période. Abu Amir parle alors d’un « business de la frontière » dont l’Égypte tire profit. Enfin, la voie classique empruntée par la majorité des gazaouis – parfois pour des nécessités urgentes de santé – peut durer jusqu’à 12 heures. La traversée du Canal de Suez est particulièrement longue puisque les Palestiniens peuvent se présenter à 23h devant les bacs pour n’embarquer que le lendemain à 9h du matin. Lors des checkpoints, l’arbitraire règne. Ils ne savent jamais combien de temps cela va prendre, quelles affaires vont être fouillées, renversées, ou encore accaparées.

De manière générale, aux frontières, le point de passage des matériaux est de plus en plus entravé. Plus précisément, il y « passe uniquement ce que veulent les israéliens ». Depuis le bombardement de centrales électriques par les forces israéliennes et le blocus de 2007, les gazaouis vivent avec près de 8 heures d’électricité par jour. Tandis que Gaza dépend en partie de l’Égypte et d’Israël pour se fournir en électricité, ce dernier bloque aux frontières le passage du matériel nécessaire à la réparation des stations d’électricité, afin de maintenir la main mise sur le sort du peuple gazaoui.


« L’eau est malade de pesticide » 


Le récit d’Abu Amir sur les conditions des cultures agricoles est dramatique. Il explique que « l’eau est malade de pesticide » et rend malade la population. Beaucoup souffrent de cas de cancer, en particulier les populations qui habitent à côté des terres agricoles. À Gaza, bifurquer vers une agriculture biologique est indispensable, car vital. Alors qu’on pourrait s’imaginer que la question de la transition écologique n’est pas une préoccupation, d’Abu Amir rapporte que plusieurs agriculteurs souhaitent s’engager vers une autre agriculture, ceux-ci expliquant « nous voulons offrir des produits sains aux habitants ».

Il s’inquiète également pour la relève. Le sentiment de vie barrée de la jeunesse entraine la fuite des cerveaux. Depuis le début de l’année, 850 enfants d’agriculteurs ont fui gaza. Beaucoup perdent la vie sur le chemin de l’exil, vers la Grèce ou la Turquie.

Le témoignage d’Abu Amir est poignant et digne. La vie à gaza, c’est l’imprévisible. Pourtant, la détermination des gazaouis pour vivre digne semble, dans la justice et la paix, est intact.

En l’écoutant, les mots du poète palestinien Mahmud Darwish ont trouvé tout leur sens : « Nous aussi, nous aimons la vie ».

« Nous sommes des gens qui ont toujours été des amoureux pacifiques de la vie et de la paix »

Deux jours après ma rencontre avec Abu Amir, les combattants du Hamas ont lancé une offensive armée contre l’État d’Israël, dont la riposte ne s’est pas fait attendre.

Avec l’espoir d’un cessez-le-feu immédiat, je relaie la déclaration de mon ami et camarade, Abu Amir :

Déclaration d’Abu Amir Eleiwa, correspondant de l’UJFP à Gaza (version française) :

« Avant hier matin, le monde s’est réveillé avec la nouvelle de l’entrée de la résistance palestinienne dans les colonies entourant Gaza. Le monde a dénoncé cet acte et accusé directement les Palestiniens de terrorisme sans réfléchir aux raisons qui ont conduit à cette situation.

Nous sommes des gens qui ont toujours été des amoureux pacifiques de la vie et de la paix.

Mais l’occupation israélienne ne nous a laissé aucune place pour la vie, et ils n’ont respecté aucun accord ou traité. Ils ont continué à confisquer des terres, depuis 1948 à aujourd’hui, et à tuer tout ce qui est palestinien. Ils ont assiégé plus de 2,5 millions de Palestiniens depuis 2006 et ont fait de la bande de Gaza une immense prison. Des familles entières retirées du registre d’état civil pendant des années à cause du bombardement des maisons sans avertissement.

Les Palestiniens n’ont pas cherché la guerre, mais les Israéliens n’ont laissé aucune chance aux Palestiniens de vivre. Les Palestiniens ont appelé à tant de reprises le monde à arrêter l’agression d’Israël et à briser le blocus de la bande de Gaza. Mais le monde était sourd et muet il tournait le dos aux Palestiniens, indifférents à leurs souffrances.

Ce qui s’est passé aujourd’hui devait être attendu, sachant l’injustice envers les Palestiniens et la marginalisation continue de leur société.

La communauté internationale est ainsi principalement responsable de l’effusion de ce sang des deux côtés. La communauté internationale doit mesurer les conséquences de ce qui est en train de se passer, et changer sa stratégie pro-Israël. ».

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