Au moment de décoller pour Le Caire, un sentiment bizarre m’envahit. Après des mois de préparation, nous avons enfin obtenu l’autorisation de nous rendre à Rafah, zone frontalière entre l’Égypte et la Bande de Gaza. Je tiens d’abord à remercier mon collègue Éric Coquerel à l’initiative de ce déplacement. C’est une démarche inédite que d’avoir réussi à réunir des parlementaires français de différents groupes politiques pour aller porter un message de paix sur le terrain de la guerre. Plusieurs sentiments se mêlent. Une certaine forme d’excitation, mais aussi et surtout, de plus en plus présente, l’appréhension. La réalité de la guerre est une chose quand on la voit au travers de témoignages, d’images ou même de vidéos. Cela en est une autre d’être confronté directement sur le terrain à des témoignages de personnes qui vivient cette réalité. Sur les 2,4 millions d’habitants de la bande de Gaza, 1,3 million se sont réfugiés à Rafah dans des abris de fortune, majoritairement des tentes. Alors que les conditions humanitaires et sanitaires sont déjà catastrophiques, les éléments naturels se sont déchaînés, noyant les tentes et les bâches des réfugiés gazaouis sous des centaines de litres d’eau. Face à cette situation dramatique, et alors que la décision de la Cour internationale de justice a été rendue il y a une semaine, rien ne semble arrêter la machine génocidaire israélienne. Bien que les mesures conservatoires imposent notamment qu’Israël veille à ce que son armée ne commette pas d’actes génocidaires, 124 palestiniens sont morts lors des dernières 24 heures. Faudra-t-il attendre que l’ensemble des palestiniens soient rayés de la carte pour que cesse le massacre ? Le silence assourdissant des puissances occidentales, qui pour la très large majorité continuent de soutenir Israël, révèle une fois de plus aux yeux du monde comment le nord global nie les droits de certains peuples à vivre.
Ce voyage s’inscrit dans un contexte de remise en cause inédit des Nations Unies et de ses différentes agences. Je pense évidemment à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA). Cette agence qui depuis 1949 fournit une assistance humanitaire et une protection aux réfugiés palestiniens est indispensable aux Gazaouis, indispensable à leur survie. Quasiment 6 millions de Palestiniens y sont enregistrés ce qui leur permet de pouvoir accéder à des services comme l’éducation, la santé ou encore des services sociaux. Plus de 540 000 enfants étudient dans les 706 écoles de l’agence, qui gère également une soixantaine de camps de réfugiés, dont 19 en Cisjordanie occupée. Comment ne pas être en colère devant la suspension de l’aide annoncée par plusieurs pays ? Il faut dire les choses, suspendre l’aide humanitaire, au moment où plus de 80 % des personnes menacées de famine critique dans le monde entier vivent à Gaza, c’est condamner à mort des milliers de personnes.
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Nous voilà arrivés au Caire. C’est la deuxième fois en quelques mois que je pose mes pieds au cœur de la capitale égyptienne. Le contraste est toujours saisissant. Klaxons, lumières, circulation… Même à cette heure avancée de la nuit, le vacarme est assourdissant. Signe de l’importance du moment, c’est le consul de France qui nous accueille. Direction l’hôtel où nous attend Marine Vlahovic, journaliste indépendante, qui veut nous alerter sur la situation des journalistes à Gaza. Cette première rencontre nous ramène vite à la réalité cruelle de la guerre. « Les journalistes meurent les uns après les autres, ils sont ciblés car ils sont journalistes. Leurs familles, leurs maisons sont prises pour cible » témoigne la journaliste. Depuis le début de la guerre, Israël a assassiné plus de 110 journalistes avec la volonté claire d’empêcher que certains documentent les massacres et informent le monde sur le génocide organisé. J’ai interpellé la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati sur cette question. La question de la présence de journalistes est un sujet majeur au nom du droit à l’information et du pluralisme de la presse. Comme nous l’indique Marion « la violence, la fatigue sont telles » que de nombreux journalistes souhaitent aujourd’hui sortir de la bande de Gaza. Elle nous raconte l’histoire d’un de ses amis qui a perdu ses 4 enfants suite à des frappes israéliennes. Les mots sont hachés, l’émotion est palpable dans son regard. Un exemple qui illustre l’horreur subit par des milliers de Palestiniens.
Avant de partir, elle tient elle aussi à nous alerter sur l’urgence à apporter notre soutien à l’UNWRA : « même en cas de cessez-le-feu, il faudra continuer à aider les Palestiniens. Pour moi, ce ne sont pas des réfugiés. Ce sont désormais des rescapés ». Des mots forts.