Après l’article 47.1 de la Constitution qui limite le temps des débats, l’article 49.3 de la Constitution pour empêcher de voter à l’Assemblée nationale, l’article 44.3 de la Constitution pour le vote bloqué au Sénat, aujourd’hui, la macronie a dégainé un nouvel outil pour piétiner la démocratie : l’article 41 du règlement de l’Assemblée nationale.
Retour sur un braquage antidémocratique.
Ce matin en commission des affaires sociales, nous examinions, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe LIOT, la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. Pour celles et ceux qui l’ignorent, les groupes d’oppositions disposent d’un jour par session parlementaire au cours duquel ils peuvent inscrire à l’ordre du jour (de 9 heures à minuit) les propositions de lois qu’ils souhaitent. Une unique journée, tandis que la minorité présidentielle décide du calendrier le reste du temps. C’est donc au travers de leur niche que les députés du groupe LIOT ont fait le choix d’inscrire cette proposition de loi. Mais il s’agissait de la journée de trop pour les macronistes. Ils ont en fait encore la preuve ce matin.
Avant d’entrer dans l’explication de la matinée, je ne peux passer sous silence les conditions de travail déplorables que nous avons subi. Il ne fallait pas être un grand devin pour savoir que des dizaines de députés, y compris ceux qui ne siègent pas de manière permanente dans cette commission, seraient présents pour parler de ce sujet qui préoccupe des millions de Français depuis des mois. La Présidente de séance a ordonné le début des travaux alors même que plus de 15 députés n’avaient pas la possibilité de s’asseoir et que certains ont été contraint d’enjamberleur collègue pour pouvoir s’exprimer. Une preuve en plus, s’il en fallait, de l’importance donnée par la minorité présidentielle à ma qualité du débat démocratique.
Au moment d’ouvrir la commission, la proposition de loi de LIOT comportait deux articles : l’article 1errelatif à l’abrogation de l’article 7, qui décale l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’article 2prévoyant une conférence de financement et un gage (permettant de financier la retraite à 62 ans). Depuis plusieurs jours, les députés macronistes, des membres du gouvernement et la Première ministre, ont estimé que cette loi était anticonstitutionnelle au regard de l’article 40 de la Constitution selon lequel : « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Toutefois, ce qu’omettent de dire les macronistes,c’est que le groupe LIOT a gagé cette proposition de telle sorte que la création d’une nouvelle dépense était en vérité immédiatement compensée. Il faut saluer le courage d’Éric Coquerel qui a déclaré recevable cette proposition et n’a cédé à aucune menace ou chantage. La première stratégie qui consistait à faire invalider la loi par le Président de la commission des finances a donc échoué. Face à cela,les marconistes ont décidé d’une nouvelle stratégie, organisée au cœur de la nuit.
Leur objectif ? Faire tomber l’article 1er et adopter en commission une version de la loi comprenant le seul article 2.
Pourquoi ? Tout simplement car en faisant cela, ilsobligent LIOT ou un groupe de la NUPES à déposer en séance un amendement pour réintroduire l’article 1er, et dès lors, la Présidente de l’Assemblée nationale pourra, à elle seule, déclarer l’amendement irrecevable sur le fondement de l’article 40 et ainsinous empêcher définitivement de voter la proposition du groupe LIOT.
Pour gagner le vote de ce matin en commission, le groupe LR a dû débrancher des députés anti-réforme des retraites pour les remplacer dans la nuit par des députés pro-réforme des retraites. Finalement, l’article 1 a été abrogé par 38 voix contre 34.
Face à cette situation, notre groupe a déposé plus de 1000 sous amendements sur l’article 2, pour expliquer en quoi cette réforme était injuste et injustifiée et pour mettre en évidence que de l’argent était disponible pour mener une autre réforme. Il s’est alors produit un évènement d’une extrême gravite, jamais vu dans l’histoire de la 5ème République. La présidente de séance a annoncé tranquillement au micro, qu’après un échange avec la présidente de l’Assemblée nationale, elle ne permettrait pas l’examen de sous-amendements invoquant l’article 41 du règlement de l’Assemblée nationale. Ahurissant. En moins d’une minute, elle a décidé de s’asseoir sur un droit fondamental et constitutionnel, qui est le droit d’amender et de sous amender desparlementaires. Alors que nous pensions avoir tout vu, ils parviennent encore à nous surprendre dans leur stratégie de piétinement démocratique. Le tout avec le sourire aux lèvres, fières de leur forfaiture. En prenant une telle décision, sans même consulter le bureau, la présidente de la commission est en dehors de la légalité, choses dont elle fait peu de cas tant la volonté de satisfaire les ordres du monarque présidentiel est supérieure. Ils étaient des Playmobil, ils sont désormais les croque-morts d’un gouvernement plus seul que jamais. Alors que des dizaines de personnes étaient rassemblées au métro Invalides, cette nouvelle provocation ne va faire qu’une chose : monter la colère du peuple. Après le vote en faveur de l’article 2, nous avons décidé de quitter la commission, de les laisser entre-deux, entre fossoyeurs de la démocratie.
Mais qu’ils ne se méprennent pas. Nous ne les lâcherons pas. Comme je l’ai rappelé ce matin en commission, des millions de Français ont fait des dizaines de jours de grève, ont perdu de milliers d’euros pour ne pas avoir comme seul horizon la mort au travail ou la retraite à l’hôpital. Dans un pays incandescent où plus aucun ministre ou député ne peut se déplacer sans être interpellé par des manifestants, un tel passage à force équivaut à craquer une allumette sur un baril de poudre. Quand vous empêchez les députés de voter, que vous ignorez les gens qui font des dizaines de jours de grève, que vous méprisez les millions de personnes qui défilent dans le pays, que vous tabassez et arrêtez arbitrairement des manifestants, il ne faut pas s’étonner qu’une colère radicale explose.
Le 6 juin, la mobilisation à l’appel de l’intersyndicaledoit être massive. Elle doit être la plus forte depuis le début de la bataille contre la réforme des retraites. Elle doit envoyer un signal clair à la Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet autour d’un mot d’ordre unique : « n’empêchez pas la représentation nationale de voter sur l’abrogation de la réforme des retraites !».
Le 8 juin, le peuple doit à nouveau sortir partout dans le pays, devant les mairies, aux abords de l’Assemblée nationale pour dire « le peuple vous regarde ! ».
Oui, nous devons pouvoir voter pour abroger un texte dont personne ne veut et qui n’a jamais été voté dans l’hémicycle. Un texte qui aura pour conséquence de sacrifier des milliers de vies.
Si le vote est empêché, la colère sera terrible.
Il n’y aura pas de paix sociale jusqu’au retrait de la réforme.