Samedi. Dès le réveil, l’actualité nous ramène à la réalité. Dans la nuit, Israël a mené des frappes à Rafah et les États-Unis ont bombardé des cibles en Syrie et en Irak. Le Moyen-Orient est une poudrière prête à exploser. Le monde est sur un moment de bascule, et la balance peut pencher du côté du pire.
Direction l’Ambassade de France, où nous avons rendez-vous avec l’Ambassadeur, Monsieur Éric Chevallier. Situé à proximité du Zoo, le bâtiment est un lieu névralgique de la diplomatie française au Moyen-Orient. Le France est toujours un pays dont la voix compte, même si celle-ci s’est faite plus silencieuse ces dernières semaines. Ce moment d’échange permet d’abord de remercier l’Ambassadeur pour son aide, puis d’échanger sur Gaza, le Moyen-Orient ou encore le rôle de la diplomatie française.
Comme il le rappelle justement lors de cet échange, la question du conflit palestinien est au cœur du débat politique en Égypte et cela n’est pas à décorréler d’autres questions nationales, particulièrement de la crise économique qui frappe le pays. L’Égypte bénéficie principalement de 3 sources de revenus : l’argent qui vient des expatriés (30 milliards d’euros par an), la mer rouge et le tourisme. Depuis le début de guerre, le commerce en mer rouge, via le Canal de Suez, a par exemple chuté de 44% suite aux attaques houthistes. Le 17 janvier, on comptait le passage de seulement 44 bateaux contre 70 ou plus par jour en période normale. De son côté, le tourisme a reculé de 10 %. À cela s’ajoutent les conséquences de la guerre entre l’Ukraine et la Russie qui a fait exploser les prix d’un bien essentiel, le pain. Il faut savoir que l’Égypte était le premier importateur de blé, car le pays doit nourrir 100 millions d’habitants avec seulement 2,6 % de surface cultivable. Un pays où l’inflation urbaine atteignait par ailleurs 36 % en octobre, et même 71 % pour les produits alimentaires et boissons.
Aussi, si le peuple égyptien exprime une très forte solidarité de cœur avec les palestiniens (ils sont les premiers donateurs) celle-ci n’en n’est pas moins pragmatique au regard de la crise économique qui secoue le pays. Aussi, parmi les lignes rouges posées par le Président égyptien se trouve la question de l’accueil des réfugiés palestiniens. Pour lui, il est hors de question d’accueillir des milliers de palestiniens dans le Sinaï, voire au Caire. Un point de vue partagé par de nombreux palestiniens qui refusent de subir une deuxième nakba. Avant de quitter l’ambassadeur qui reçoit le soir même le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, nous lui transmettons les revendications de collectifs palestiniens sur des demandes d’évacuation en France de plusieurs personnes.
Après un moment de respiration le long du Nil, psychologique plus que climatique au regard de la pollution présente au Caire de long du Nil, nous avons donné rendez-vous aux journalistes à 18h pour une conférence de presse. C’est le premier moment où la délégation est complète. Face à plusieurs journalistes égyptiens, mais aussi français, nous avons expliqué le sens de ce voyage. Si la question d’un cessez-le-feu immédiat et permanent est notre boussole, j’ai rappelé que nous avons la responsabilité de continuer à mettre la pression sur le gouvernement français pour qu’enfin, il prenne des mesures à la hauteur des enjeux. Cela fait maintenant 8 jours que la Cour internationale de justice a demandé des mesures conservatoires à Israël face au risque grave de génocide à Gaza. 8 jours qu’Israël continue de massacrer le peuple palestinien. La France, signataire de la convention de 1948, doit monter le ton face à Israël, au risque de se rendre complice d’un génocide. Je ne l’ai pas évoqué lors de la conférence de presse, mais la présence de plus de 4000 franco-israéliens aux côtés de Tsahal à Gaza est une lourde faute morale. En tant que parlementaire, je ne peux accepter que des citoyens français s’engagent aux côtés d’une armée qui pratique un nettoyage ethnique. J’ai à ce titre saisi le procureur de la République de Paris pour que des enquêtes soient ouvertes. J’ai beaucoup apprécié l’intervention du député communiste de Guyane, Jean-Victor Castor qui a dit « venir de loin porter une solidarité internationale au peuple palestinien » rappelle que les peuples colonisés résistent toujours. Loin des polémiques organisées en France pour tenter de discréditer toutes celles et ceux qui s’engagent pour défendre le peuple palestinien et promouvoir le respect du droit international, cette conférence de presse permet de poser les sujets de manière claire.
Une fois la conférence de presse terminée, nous passons un moment avec Marc Lassouaoui, représentant de l’UNRWA. L’occasion de lui témoigner notre attachement à cette agence de l’ONU, dont il faut préserver les financements. Si rien n’est fait pour, l’agence fermera ses portes fin février. Il faut dire que les attaques contre l’agence ne viennent pas que de pays extérieurs à la France. Le maire de Marseille a annoncé la suspension d’une subvention de 80.000 euros après les allégations d’Israël. Mon camarade Sébastien Delogu, député de Marseille, en profite pour faire une interpellation publique du maire de Marseille. Le représentant de l’UNRWA alerte sur le fait que « si demain l’UNRWA s’effondre, c’est toute l’aide humanitaire qui va s’effondrer à Gaza ». On apprendra quelques heures après que le Maire de Marseille revenait sur sa décision. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de l’opinion publique sur l’influence des décisions prises par des responsables politiques. Au moment où le peuple de Gaza meurt de faim et de soif, suspendre une aide apparaît clairement comme une complicité de meurtre.
La nuit tombe sur la capitale égyptienne. Direction l’hôtel pour tenter de se reposer quelques heures avant le départ pour Rafah et une journée qui s’annonce chargée en émotion.