Comme chaque année depuis maintenant sept ans nous avions prévu de nous rendre à la marche de Beaumont-sur-Oise à l’appel du collectif justice et vérité pour Adama Traoré. Une marche en mémoire d’un homme de 24 ans mort entre les mains de la gendarmerie au commissariat de Persan (Val-d’Oise) après son interpellation. Un nom sur la liste toujours plus longue de victimes de violences policières.
Depuis cette date, sa sœur Assa et l’ensemble du collectif n’ont eu de cesse de se mobiliser pour exiger la vérité sur la mort d’Adama. Sept ans après, personne n’a oublié les images du placage ventral effectué sur le jeune Adama. Depuis, et alors même qu’une expertise de plusieurs médecins belges a révélé que la mort d’Adama Traoré serait due aux « manœuvres de contention » des gendarmes, rien ne bouge dans l’institution policière et les gendarmes en question sont toujours en activité. Le 26 juin dernier, c’est la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a demandé « que des poursuites disciplinaires soient engagées à l’encontre » des gendarmes qui ont « manqué à leur devoir de protection » en n’ayant « pas pris le soin de préparer et de faciliter l’arrivée des pompiers ».
Et malgré la colère, malgré le sentiment d’injustice, depuis sept ans la marche annuelle de Beaumont-sur-Oise se déroule dans un calme absolu. Aussi, personne n’a compris l’interdiction de manifester prononcée par la Préfecture du Val d’Oise pour cette édition 2023. En vérité, rien ne le justifie et le Préfet du Val d’Oise n’a pu apporter aucune preuve de « troubles manifestes à l’ordre public ». C’est simplement une décision politique qui poursuit un objectif unique : faire taire celles et ceux qui se mobilisent contre les violences policières. Face à cette décision le collectif « justice et vérité pour Adama » a fait le choix d’organiser un rassemblement à Paris, place de la République. Un rassemblement lui aussi immédiatement interdit. Jusqu’où iront-ils dans le piétinement de nos libertés ?
« Le droit de manifester est constitutionnel »
Cette interdiction est la traduction de la dérive liberticide dans laquelle s’est engagé le gouvernement. Combien de manifestations ont été interdites lors des derniers mois ? La liste serait bien trop longue pour l’évoquer ici. Depuis 1962 et l’interdiction de la manifestation de Charonne, c’est la première fois qu’un gouvernement s’attaque aussi ouvertement au droit de manifester. Un droit constitutionnel garanti par la jurisprudence, dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Je note au passage que le Préfet de Police de Paris Laurent Nuñez, qui a interdit le rassemblement de samedi place de la République, avait autorisé le 6 mai dernier plus de 500 néo-nazis à défiler en plein Paris. Un choix qui questionne. Comme je l’ai rappelé à Gérald Darmanin « en macronie on interdit les marches antiracistes mais on laisse défiler des nazis ».
Depuis que nous avons décidé, malgré tout, de participer à ce rassemblement, nous sommes beaucoup interrogés sur notre place en tant que parlementaire dans une manifestation interdite. Je le dis sans détour, nous avons eu raison d’y aller et notre place était aux côtés d’Assa Traoré. Quand la cause défendue est républicaine et que l’interdiction ne repose sur aucune motivation sincère mais simplement sur un manœuvre politique pour contrer le peuple, y participer était un devoir moral. Ce week-end la République était dans la rue aux côtés du collectif justice et vérité pour Adama. Je suis fier d’y avoir participé.
Il ne faut pas se tromper, la nature des attaques ne tient ni au fait que nous ayons participé à une manifestation interdite, ni aux slogans entendus dans le cortège. Les attaques visent à empêcher tout débat sur la question de la police. Remettre en question la doctrine du maintien de l’ordre revient désormais à s’exposer à toutes sortes d’insultes… Alors parler de violences policières, ça relève de l’impossible. …
Une telle hystérisation du débat trouve ses sources dans le rôle de police sous les deux quinquennats Macron. Des gilets jaunes aux mobilisations contre les retraites en passant par les récentes révolte urbaine ou les manifestations écologiques à Sainte-Soline et Chambéry (contre le Lyon-Turin), le gouvernement a toujours fait le choix de la répression féroce laissant la police agir à sa guise. Le pouvoir ne tient pas aujourd’hui du fait de l’adhésion du peuple aux idées mais par l’usage de la matraque. Macron le sait, la police aussi. Elle est aujourd’hui hors de contrôle avec des syndicats factieux qui se permettent de publier des communiqués de presse appelant à la guerre civile contre des jeunes qualifiés de « nuisibles » et de « hordes sauvages » sans que le ministre de l’Intérieur ne réagisse. Sans doute se souvient-il des prises de positions de son prédécesseur Christophe Castaner contre les clés d’étranglement. Il fut débarqué dans les 48H. Dans une démocratie c’est le ministre qui donne les ordres à la police et non l’inverse. Nous sommes bien loin de la déclaration des droits de l’homme qui stipule dans son article 12 « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Pour finir d’illustrer l’instrumentalisation à laquelle se livre la majorité présidentielle sur cette participation à une manifestation interdite, je n’ai pas le souvenir que mon collègue Philippe Gosselin ait subi un procès médiatique aussi violent que celui que nous vivons ces jours-ci pour sa participation en 2013 à une manifestation interdite devant l’Assemblée nationale pour s’opposer au mariage pour tous.
« Tout le monde déteste la police »
Rarement un slogan aura autant fait parler de lui. Je vais d’abord répondre à la première question que l’on nous pose. Ce n’est pas mon slogan et je ne l’ai pas chanté, ni aucun de mes collègues députés. Est-ce que je le condamne pour autant ? Non. Je le comprends même. Loin des caricatures, je vais ici expliquer pourquoi.
Notre rôle de responsable politique est de trouver des solutions aux colères qui s’expriment. On peut évidemment faire comme la députée Maud Bregeon qui a osé dire ce week-end « il n’y a pas de violences policières » ou encore parler de travail « merveilleux » de la police comme l’a fait la « Présidente » de l’Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet. Contrôle au faciès, racisme, violence, mépris …. Je les invite à venir dans ma circonscription en Seine-Saint-Denis pour mesurer ce que vivent au quotidien les habitant-e-s de ce département.
On peut par exemple parler de la CSI93 (la compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis), une unité visée par 17 procédures judiciaires pour brutalités, de propos racistes, d’accusations de vol et de procès-verbaux inexacts. Dans les quartiers populaires les violences policières sont le lot quotidien de milliers de personnes. Il faut lire le papier du journal Le Mode de dimanche où Christelle, maman qui vit seule avec ses deux enfants à Montreuil, : « Quand on est mère de deux adolescents qui sont noirs, on sait que même si on les tient, il suffit qu’ils soient dans la rue, même sans rien faire, pour qu’ils se fassent embarquer par la police ».
Dans quel pays peut-on accepter que des personnes se sentent menacées par la police en raison de leur couleur de peau ? Ce n’est pas faute d’alertes. Après l’appel de l’ONU qui a exhorté la France à lutter contre les discriminations raciales dans la police, la Défenseure des Droits indique « qu’on ne peut faire l’impasse d’un débat sur le racisme dans la police ». Face à cela la macronie fait le choix d’attaquer ces institutions, les qualifiant de « partisanes », afin de discréditer leurs propos. Vont-ils dire la même chose du peuple français qui estime à plus de 70% qu’il y au problème de racisme dans la police ? À force de refuser de prendre le problème à bras le corps, on ne fait que créer du ressentiment et de la colère. Depuis combien de temps les associations réclament par exemple la mise en place d’un récépissé pour les contrôles d’identités ?
Aussi, quand Nahel a été tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer, c’est toute une jeunesse qui s’est soulevée. D’abord car elle s’est dit « cela aurait pu être moi », ensuite car sont revenues en mémoire toutes les affaires de violences policières étouffées par absence de vidéos.
Comme pour les contrôles d’identités, les associations demandent l’abrogation de la loi de 2017 Cazeneuve qui modifie les conditions d’utilisation des armes par les policiers lors des refus d’obtempérer. Face à l’explosion des morts, plus 500% en 5ans, le pouvoir refuse de répondre préférant utiliser la rhétorique de l’extrême-droite selon laquelle « c’est de la faute du conducteur, il n’avait qu’à s’arrêter ». Aussi comment ne pas comprendre la colère exprimée contre la police ? Si la macronie ne veut plus entendre de tels slogans, elle doit prendre en compte les revendications et proposer des solutions politiques concrètes. Interdire la marche d’Assa Traoré ou dire « les parents n’ont cas s’occuper de leurs gamins » ne va rien régler, pire, cela va renfoncer le fossé déjà abyssal entre la police et la population. Si je n’utilise pas ce slogan, je le comprends. Mais surtout je mets tout en œuvre pour lui apporter des réponses concrètes.
Je voudrais aussi dire à celles et ceux qui nous font des grands discours expliquant « qu’il aurait fallu quitter la manifestation », que ce slogan était déjà présent dans les manifs des gilets jaunes, qu’il était scandé lors des manifestations contre les retraites, et qu’il est un classique de toutes les manifestations contre les violences policières. Jamais personne n’a demandé à celles et ceux qui ne le chantaient pas de quitter la mobilisation. En 1968 a-t-on demandé aux représentants politiques de quitter la manifestation alors qu’un des slogans était « CRS = SS » ? Évidemment non. Les mêmes qui nous font des leçons aujourd’hui n’ont pas eu tant de pudeur pour participer à une manifestation organisée par des syndicats policiers factieux devant l’assemblée nationale au cri de « le problème de la police c’est la justice» . Être Républicain, c’est se battre contre le racisme et ne jamais être dans la rue avec des milices d’extrême-droite. C’est notre ligne, et nous ne lâcherons pas.
« Silence de la caste sur la BRAVM »
Contrairement aux pronostics des télégraphistes de l’Élysée, comme Benjamin Duhamel, la manifestation s’est passée dans le plus grand calme. Les seuls éléments violents furent du côté de la police et de la tristement célèbre BRAV-M.
Rappelons d’où vient cette brigade. Crée en 2018 lors des mobilisations des gilets jaunes, cette unité en moto est l’héritière des voltigeurs. Une brigade dissoute en 1986 après avoir causé la mort de Malik Oussekine. Depuis sa réactivation, ses membres n’ont de cesse de semer la terreur dans les rues de Paris. Le point culminant fut la réforme des retraites où des dizaines de témoignages, de vidéos, d’images sont venus documenter leurs brutalités mais aussi leurs propos racistes. J’en livre ici quelques exemples pour que les lecteurs se rendent comptes de quoi on parle : « T’inquiète pas que la prochaine fois qu’on vient, tu montreras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller à l’hôpital. […] T’a fais comment le voyage du Tchad ? […] C’est un titre de séjour ? tu vas être placé en garde à vue, et demain t’as une OQTF, c’est fini ! ». Voilà les propos tenus par des membres de la BRAVM. Une brigade dont fut membre le policier qui a tué Nahel.
Samedi, ils sont venus directement pour en découdre, cassant le dispositif d’évacuation de la manifestation mis en place par les CRS après qu’Assa Traoré est appelée à évacuer dans le calme. Les images parlent d’elle-même.
Placage ventral sur le frère d’Adama Traoré, projection de plusieurs journalistes à terre avec des multiples blessures, jet d’une manifestante au sol. En quelques minutes, un déferlement de violence s’est abattu sur quelques personnes en marge de la manifestation. Des personnes étaient clairement ciblées. Leur engagement et leur couleur de peau ne doivent rien au hasard. Le témoignage de Samir, un membre du comité justice et vérité pour Adama arrêté pendant la manif, est sidérant. Il explique que ce sont les CRS qui se sont interposés entre lui et la BRAV-M pour éviter qu’il ne se fasse tabasser.
Une question se pose, et elle mérite une réponse claire. Qui a donné l’ordre à la BRAV-M d’intervenir ? Qui leur a donné l’ordre d’interpeller ? Qui a donné l’ordre que la brigade soit comptée dans le dispositif de maintien de l’ordre ? Lors des QAG (questions au gouvernement) j’ai interrogé le ministre de l’Intérieur pour obtenir une réponse concrète en lui rappelant que nous savons que la décision n’incombait pas à la Préfecture de Police de Paris. Le Ministre a fait le choix de ne pas répondre préférant utiliser son argumentation classique, nous invitant à aller aux cotés de la BRAV-M pour contrôler leur travail et en mesurer tous les aspects.
Que le ministre se rassure, je n’ai pas attendu ses appels pour aller moi-même contrôler la BRAV-M sur le terrain. Nous l’avons effectué pendant plusieurs manifestations contre la réforme des retraites avec mes collègues Antoine Leaument et Ugo Bernalicis. En revanche nous attendons encore la réponse du Ministre sur qui a donné les ordres à la BRAVM samedi. De là à penser qu’ils ont agi seul, hors de contrôle …
C’est cette dangerosité qui a poussé il y a quelques mois 260.000 personnes à signer sur le site de l’assemblée nationale une pétition pour exiger un débat sur la dissolution de la BRAVM. Jamais une pétition citoyenne n’avait atteint un tel record. Malheureusement nous n’avons jamais eu le débat, les macronistes s’étant entendus entre eux pour fermer la pétition. Faudra-t-il un nouveau Malik Oussekine pour enfin dissoudre cette milice ? Pour ma part je n’attendrai pas ce drame et continuerai à me mobiliser avec mes collègues pour exiger la dissolution de la BRAV-M et à me battre pour en finir avec les violences policières.